─ Alors, ma jolie, cria-t-il, tu t'joins à nous ?

Il eut un rot sonore qui fit rire ses compagnons ivres et Dess leva les yeux au ciel. Sans plus prêter attention aux imbécile maintenant tordus de rire, elle finit son verre de lait (cela lui aidait à apporter de la résistance à ses os, même si elle ne nourrissait pas franchement d'espoir là-dessus) et se leva gracieusement. Des sifflements retentirent et elle grommela dans sa barbe avant de saisir sa cape et de l'enfiler prestement, les joues rouges.

Elle n'aimait pas se faire remarquer, surtout pas ainsi. Elle avait donc cru bon d'aller se rafraîchir dans une taverne peu fréquentée, mais pas non plus déserte. Elle se dirigea vers la sortie, pas du tout maladroite ; à peine une heure auparavant, elle avait atterri dans un champ à un kilomètre du village dans lequel elle se trouvait.

Une fois sortie de l'ignoble taverne, elle baissa son capuchon de façon à ce que ses yeux se soient pas visibles. Elle ne raffolait pas vraiment des regards qu'on pouvait lui jeter en voyant ses prunelles rouges.

Elle acheta quelques bricoles ; des aiguilles, une nouvelle gourde, car la sienne commençait à dépérir, et du fil de pêche. Elle but ensuite quelques gorgées de jus de raisin et se mit à marcher tranquillement à travers la mince foule, cherchant un endroit où elle pourrait se reposer, même si elle n'était pas réellement fatiguée. Physiquement, oui, mais mentalement, elle en avait marre des regards des hommes, des femmes aussi, lorsqu'elles la jalousaient. Elle trouvait ce dernier comportement très idiot d'ailleurs. Elle aurait tout donné pour avoir un physique banal.

Très vite, elle remarqua qu'elle suivait un chariot tiré par un imposant cheval où deux hommes discutaient. Elle leva les yeux au ciel en entendant l'histoire de ce qui semblait être un vieil homme et bien vite, le temps passa.

Elle fut ramenée à la réalité par des cris. Elle se cacha prestement dans l'ombre et aperçut sept silhouettes autour du chariot des deux hommes. Ils se tenaient debout, autour du plus jeune, assommé. Dess poussa un juron et s'avança, alors que les larrons commençaient à tabasser sérieusement le pauvre homme.

Elle s’éclaircit la gorge, son capuchon toujours baissé sur ses yeux, avant de dire d'une voix sulfureuse :

─ Eh bien, messieurs, que vous êtes courageux. (Les sept brigands se retournèrent comme un seul et la regardèrent avec surprise.) Je parlais du fait que vous combattiez à sept contre un, continua Desdémone.

─ De quoi j'me mêle ? râla un larron en faisant un pas vers elle.

Dess soupira et retira sa cape, dévoilant son visage. Elle planta ses yeux dans ceux, ahuris, du brigand, et s’avança avec une lenteur délibérée. Lorsqu'elle fut certaine de son coup, Dess lui décocha un coup de genou dans ses bijoux de familles, et l'homme poussa un cri de douleur en tombant à genoux, les mains posées sur son entre-jambe. Elle se tourna vers le jeune homme au sol, qui la regardait avec des yeux douloureux, se tenant les côtes. Elle lui fit un clin d'oeil et bondit.

La larron qui semblait diriger la bande évita avec peine un assaut fulgurant de la jeune femme, mais n'échappa pas au second. Il finit avec un futur oeil au beurre noir et un genou en mauvais état. Bientôt, Dess dut affronter le reste de la bande et elle tiqua. Elle avait un désavantage sûr ; ils étaient armés, et combattaient à cinq contre une.

Elle évita souplement un coup d'estoc et glissa agilement sous les jambes écartés de celui qui avait tenté de la poignarder. Elle se releva avec fluidité et abattit sa main, doigts tendus, sur la nuque du brigand, qui tomba assommé en silence. Les autres se jetèrent sur elle et il fut évident qu'elle se remporterait pas ce combat malgré son agilité.

Elle évitait avec peine quatre coups portés en même temps et en décochait facilement mais pas avec assez de force pour en assommer un.

Ce fut donc sans surprise qu'elle tomba sur le dos, un larron pesant tout son poids sur elle. Elle haleta et tenta de se libérer, mais les trois autres se joignirent au joyeux duo et l’immobilisèrent.

Dess n'avait pas été surprise en remarquant que le combat ne tournait pas à son avantage. En revanche, elle le fut grandement et voyant le brigand juste au-dessus d'elle être assommé par un homme juste derrière lui.

Elle fut encore plus surprise lorsqu'elle apprit que son soit-disant sauveur et la victime des méfaits des bandits se connaissaient. « Ils forment la paire, pensa-t-elle ironiquement. » Elle se sentit immédiatement de trop et se dirigea vers sa cape sans un regard alentour. Le jeune homme venait - encore - de s'évanouir et était porté comme un poids-plume vers la maison du vieillard, qui ne cessait de jacasser. Elle ramassa son vêtement, l'enfila, rabattit sa cape sur son front et suivit discrètement le curieux cortège.

Elle était très curieuse de savoir qui étaient tous ces hommes. Et dire qu’elle était la seule représentante de la gente féminine...

Elle attendit en-dessous de la fenêtre de la maison du vieux marchand, en profitant pour se reposer. Elle songea que son comportement était fichtrement inhabituel, mais elle brûlait de curiosité. Elle attendit donc, légèrement impatiente, mais son attente finit par porter ses fruits.

Le jeune homme finit par se réveiller et oser montrer le bout de son nez et il se mit à discuter avec son aîné. Desdémone fronça les sourcils en entendant parler d'un certain Créateur, et prit une décision en entendant la suite de la conversation.

Dess les remarqua immédiatement. Ils avaient tous l'air farouche et étaient sacrément bien amochés, tous grands, musclés et une main posée sur une arme bien mise en évidence. Pour l'instant, ils se comportaient en joyeux petits villageois, mais Desdémone savait ce qui allait arriver.

En se rapprochant davantage, elle surprit une de leurs rares conversations.

─ Et que s'est-il passé ? demanda un grand gaillard au nez salement amoché d'un ton bourru.

─ Le gosse est allé se cacher et a tout vu, répondit un homme plus petit mais avec l'air bien plus féroce. Et il a tout vu. (Son compagnon lui fit signe de continuer) Y a une femme aux yeux rouges qu'a commencé à les démonter, et après, un autre est v'nu, un homme, et les a tous tués.

Desdémone n'avait pas besoin d'en savoir plus. Elle fila.

Mais sa précipitation lui coûta. Elle entendit des éclats de voix et se mit à courir. Derrière elle, elle entendait les cris surpris de la foule qui devait très certainement se faire bousculer par les mercenaires, qui étaient eux certainement aux trousses de la jeune femme.

Elle bondit au-dessus d'un étalage, provocant les cris du marchand stupéfait. Elle se dirigea ensuite vers un local à la fenêtre juste assez large pour son corps menu. Elle passa dedans et continua de courir jusqu'à une autre fenêtre, similaire à la première, et pour l'énième fois de la journée, bondit.

En entendant le vieillard jacasser et sa charrette gravissant les graviers avec force de bruits, la jeune femme ne put s'empêcher de sourire. Elel sortit de l'ombre d'un bâtiment et s'arrêta devant la charrette. Elle retira son capuchon et fixa son regard dans celui du jeune homme. Elle frémit.

─ Alors, se reprit-elle avec son inévitable sourire en coin, on ne dit pas merci ?